Jean Swiatek, l'honneur d'être en Bleu

Jean Swiatek

Né en Pologne, rien ne prédestinait Jean à être international

Jean Swiatek, le sélectionné qui ne s’y attendait pas…

Quand Janek Światek naît en Pologne, rien ne le prédestine légitimement à revêtir la tunique de l’Équipe de France de football. Mais lorsqu’il quitte son pays natal, par la force des choses, et qu’il grandit en tant que footballeur et en tant qu’homme dans l’Hexagone, la donne change. La raison principale ? Son talent ! En plus de sa motivation et de sa joie de jouer au ballon... Ce qui en fait, dès l’âge de quinze ans, un prétendant sérieux au poste d’attaquant, dans la modeste formation d’amateurs du C.S. Blénod (54).

Mais la Seconde Guerre mondiale éclate, et le jeune « Jean » va connaître une destinée différente. Évadé d’Allemagne, puis naturalisé français et devenu défenseur, il intègre – sur recommandation – la formation émérite des Girondins de Bordeaux Football Club (rebaptisée « Girondins Association Sportive du Port » pendant le conflit) ; un jeune club qui est déjà titré et respecté sur la scène nationale.

FC Girondins de Bordeaux - site officiel | Girondins.com

Un beau cadeau de Noël !

D’abord intégré dans l’équipe Amateurs, il fourbit ses armes de futur professionnel auprès de joueurs aguerris ou de stars internationales, elles-aussi venues à Bordeaux afin d’échapper à la dictature et à la barbarie, dans leurs pays respectifs. Swiatek apprend vite, et affirme son talent et son autorité naturels. Champion de France Amateurs en 1943-1944, il est repéré par les émissaires de la Fédération Française de Football Association, qui lui octroient la possibilité d’évoluer, concrètement, avec les Tricolores dès 1944. Quelle ascension, quelle fulgurance !

Ses bonnes prestations collectives et individuelles lui valent donc l’honneur d’être convoqué par Gaston Barreau, sélectionneur national. Et la première « cape », il l’obtient le dimanche 24 décembre 1944, en guise de… beau cadeau de Noël ! Ce sera face à la Belgique, au Parc des Princes, en amical. Le contexte n’est pas vraiment propice aux réjouissances. La guerre n’est pas terminée et ces deux pays, ravagés par l’occupant et par de multiples batailles, portent encore les stigmates d’un conflit qui a par ailleurs décimé bon nombre de « Diables Rouges ». Mais les formations en présence font du mieux possible. Sachant qu’elles comptent aussi, respectivement, plusieurs joueurs retenus sur divers fronts de lutte, ou en captivité…

C’est devant près de 25 000 spectateurs que Swiatek va évoluer en qualité de titulaire, au sein d’une défense pratiquant un « WM souple ». Ainsi, aux côté d’Alfred Dambach (gardien de but/Première sélection), André Frey (P.S.), Jules Bigot, Jean Bastien, Félix Pironti (P.S.), Henri Hiltl, Alfred Aston (capitaine), André Simonyi, Jean Baratte (P.S.) et Henri Arnaudeau, son coéquipier bordelais, il accueille un hôte d’outre-Quiévrain qui ne s’était plus officiellement produit depuis près de cinq ans. Des Belges qui tentent d’oublier le gel et le froid glacial qui les obligent, depuis leur départ en train (dix heures auparavant !), à trouver de l’eau chaude par-ci par-là, pour espérer se réchauffer les pieds et produire une prestation digne, et conforme aux attentes…

Fier d’être français

Certes, ce n’est rien comparé à la bataille des Ardennes, qui fait rage plus à l’Est, depuis quelques jours… Mais comme jouer est la priorité du moment, c’est parti pour quatre-vingt-dix minutes inoubliables ! Synonymes de victoire, aussi, même si l’instant paraît anecdotique eu égard à la cruauté de la période. Mais ce sont les Bleus qui déroulent le tapis de la victoire, en scorant trois fois ! Simonyi, à la limite du hors-jeu, bénéficie d’une passe décisive d’Arnaudeau pour ouvrir la marque (38e minute). Et quatre minutes plus tard, celui qui est depuis mars 1942 le premier joueur des Girondins de Bordeaux à avoir été international français conclut, par une reprise, un centre de Hiltl (42e). Avec deux buts d’avance à la pause, sans en avoir encaissé, Swiatek tient son bonheur de pied ferme

Aston, aggrave le score d’un tir consécutif à un mauvais renvoi (79e), imité par François De Wael, peu après (83e). 3-1, la victoire est belle et l’instant aussi, pour le Bordelais. 

« J’avais les larmes aux yeux lorsque j’ai entendu la Marseillaise, se souvenait-il en 2009, pour Aqui.fr. Je me sentais fier d’être français. C’était un grand honneur, je ne m’attendais pas du tout être sélectionné. »

FC Girondins de Bordeaux - site officiel | Girondins.com

Matthews annihilé !

Cinq mois plus tard, lorsque la guerre est officiellement terminée et remportée par les Alliés, sa deuxième sélection a valeur de symbole, puisque l’Équipe de France se déplace en Angleterre, pour y affronter la sélection des Trois Lions. C’est le 26 mai 1945, à Wembley (Londres), en amical. Swiatek est titulaire et arrache, avec les siens, le nul in extremis. Soit après avoir été mené deux fois, puis égalisé à la 90e minute…

Mais le fait du match, pour lui qui avait pour mission, comme ses trois compères de ligne arrière, de pratiquer un marquage individuel, c’est de l’avoir fait sur… Stanley Matthews ! Attaquant aussi doué que fascinant, celui qui sera notamment international de 1934 à 1957 (52 sélections et 11 buts), puis Ballon d’Or en 1956, fait Compagnon de l’Ordre de l’Empire britannique en 1957, et qui restera comme l’un des meilleurs joueurs de foot de l’histoire, est particulièrement ciblé par Barreau. Swiatek raconte :

 

« C’était un vrai artiste du ballon. L’entraîneur m’avait tout de même prévenu de ne pas regarder ses pieds, mais le ballon ! J’ai suivi les consignes et réussi à annihiler Matthews… Je me rappelle que je ne pouvais même pas rentrer dans le bus après le match, tellement mes coéquipiers s’étaient jetés sur moi pour me féliciter ! » (Source Aqui.fr)

Effectivement, les 60 000 spectateurs présents ne verront pas Matthews marquer… ni les Anglais gagner !

Un colosse aux pieds agiles

En 1947, le colosse aux pieds agiles honore deux sélections supplémentaires, toujours en amical et toujours titulaire au poste. Ce sera face au Portugal, à Colombes, le 23 mars (devant près de 58 000 spectateurs), où il l’emporte 1-0 (avec René Gallice en « réserve »), puis à Londres (Highbury) face à l’Angleterre, le 3 mai (devant près de 55 000 spectateurs), où il s’incline 3-0. Mais sans Stanley Matthews…

Enfin, lors de sa cinquième et ultime sélection, il boucle la boucle – encore titulaire – face à la Belgique, à Bruxelles (Stade du Heysel), en amical, le 4 juin 1950, et à quelques jours seulement de disputer la demi-finale, puis la finale de la Coupe Latine, avec les Girondins. Ce sera au prix d’une cinglante défaite 4-1 (devant 45 000 spectateurs), mais aux côtés de ses copains de club que sont Ben M’Barek Mustapha et Édouard Kargulewicz, unique buteur des Bleus.

FC Girondins de Bordeaux - site officiel | Girondins.com

Ainsi se clôt son aventure tricolore, non sans fierté, toutefois. Car s’il n’a pu – à l’image de ce qu’a aussi connu René Gallice –, en raison du conflit mondial et de la reconstruction qui s’est imposée par la suite, bénéficier d’un palmarès et d’un nombre de matches plus étoffés, il a savouré ces opportunités sportives comme il se devait et, probablement, plus encore.

« J’ai eu 11 sélections en Équipe de France, mais 5 seulement sont comptabilisées ; celles où je n’étais pas que remplaçant », déclarait-il à Sud Ouest, en 2006. « À une époque où chacun jouait à sa manière, j’avais la volonté de progresser. À la fin de l’entraînement, je continuais à m’entraîner. J’avais aussi le désir de prouver que je travaillais. Je remercie le football pour ce qu’il m’a donné et m’a fait devenir aujourd’hui. Je ressens toujours une certaine fierté pour le parcours accompli, du fait de mes origines polonaises, et de la vie difficile que ma famille avait connue. Et je suis fier d’avoir pu porter ces maillots pendant dix ans et six ans. »

Lui, le métronome des lignes-arrières françaises et bordelaises, spécialiste du jeu de tête, de l’interception et de la relance, meneur d’hommes et gentleman dans la vie comme sur les pelouses, n’a connu qu’un seul club professionnel dans sa carrière, et qu’une sélection nationale. Lui, Jean Swiatek, qui est décédé le 17 mai 2017, à l’âge de 95 ans, et qui regardait toujours les Bleus à la télévision, était l’un des doyens des internationaux français.

FC Girondins de Bordeaux - site officiel | Girondins.com
> La carrière de Jean Swiatek aux Girondins <